L'affaire Seznec

 

Guillaume Seznec a-t-il tué son ami Pierre Quéméneur ? La question hante l'histoire criminelle française depuis bientôt 100 ans. Condamné en 1924, Guillaume Seznec a toujours nié être à l'origine de la disparition du conseiller général du Finistère de l'époque, Pierre Quéméneur, dont le corps n'a jamais été retrouvé. À la mort de Guillaume Seznec en 1954, c'est toute la famille qui se mobilise pour réhabiliter leur proche. En vain, jusqu'à aujourd'hui.

 

 

 

Le dernier à l'avoir vu en vie

Le matin du 24 mai 1923, Guillaume Seznec et Pierre Quéméneur partent tous les deux de Bretagne direction Paris, à bord d'une Cadillac. Ils ont rendez-vous avec quelqu'un dans la capitale pour vendre des voitures d'occasion. Pour la suite ? Seule existe la version de Guillaume Seznec, dernier à l'avoir vu en vie. Il explique que la Cadillac a enchaîné les pannes et les crevaisons tout au long de la route. Excédé, Pierre Quéméneur aurait demandé à son compagnon de route de le déposer à la gare d'Houdan, pour finir le trajet en train. Guillaume Seznec aurait continué la route, seul. Mais lui aussi, découragé par les pannes à répétition, aurait fait demi-tour et décidé de rentrer à Morlaix. Ville où il sera vu deux jours plus tard, le 28 mai.

 

Un étrange télégramme 

 

Après trois semaines sans nouvelles de Pierre Quéméneur, la famille du disparu porte plainte. Au même moment, un télégramme, envoyé du Havre, leur parvient : "Ne rentrerai à Landerneau que dans quelques jours tout va pour le mieux - Quéméneur". Ce message ne rassure pourtant pas les proches car Pierre Quéméneur avait l'habitude de signer "Pierre" quand il s'adressait à sa famille. Pire, au Havre, on retrouve sa valise, tachée de sable et de sang, avec une promesse de vente à l'intérieur, pour un manoir dans les Côtes-du-Nord, à un prix très avantageux. Le bénéficiaire est... Guillaume Seznec. Pour la police, c'est un bon mobile, d'autant plus que  Seznec est le dernier à avoir vu Quéméneur en vie. Il est arrêté et devient le principal suspect.

 

Une défense mise à mal

Douze jours. C'est la période que va durer l'enquête. La défense de Guillaume Seznec est mise à mal par plusieurs éléments troublants. Les autorités se sont renseignées sur les trains au départ d'Houdan et à direction de Paris, le soir où Guillaume Seznec aurait déposé Pierre Quéméneur : il n'y en avait plus à cette heure-là. Les policiers s'interrogent aussi sur le demi-tour de Guillaume Seznec. Houdan est à 46 kilomètres de Paris, Morlaix à plus de 500 : pourquoi faire demi-tour alors qu'il était si proche de la capitale ? De plus, dans la Cadillac blanche, impossible de mettre la main sur le cric, un outil de 15 kilos, qui aurait bien pu servir d'arme du crime. Chez Guillaume Seznec, les gendarmes trouvent aussi une machine à écrire, achetée le 13 juin au Havre, ville d'où est parti le faux télégramme. Pour les policiers, c'est bien Seznec l'auteur du faux message et de la promesse de vente.

 

23 ans de bagne

Le procès se tient du 24 octobre au 4 novembre 1924, à Quimper. Guillaume Seznec est déclaré coupable du meurtre de Pierre Quéméneur et de faux en écriture. La préméditation n'est pas retenue, lui évitant ainsi la guillotine pour le conduire au bagne. En 1947, à l'issue de sa peine, il est libéré. Il part s'installer à Paris, chez une de ses filles,  où il va nouer une relation particulière avec l'un de ses petits-fils, Denis Seznec. 

 

Mais Guillaume Seznec ne pourra jamais mener le combat de sa réhabilitation : il meurt dans un accident de voiture, en février 1954. S'il ne peut plus annuler sa condamnation, ses proches, Denis Seznec en tête, vont le faire pour lui. Entre 1954 et aujourd'hui, quatorze demandes de révision seront posées. Une notamment en 2001, par la Garde des Sceaux elle-même, Marylise Lebranchu. Toutes ont été rejetées.

 

Au gré des rebondissements

L'affaire Seznec va connaître un rebondissement inattendu en février 2015. Maître Denis Langlois, avocat qui a représenté la famille Seznec lors des premières demandes de révision, publie un ouvrage : Pour en finir avec l’affaire Seznec. À l'intérieur, un document inédit : la retranscription d’un enregistrement d'un témoignage du fils de Guillaume Seznec, Guy. Il raconte une scène survenue le dimanche 27 mai 1923 : sa mère aurait repoussé les avances de Pierre Quéméneur, le tuant accidentellement dans la cuisine du domicile familial. "J’ai vu Quéméneur par terre et ma mère debout devant lui. (…) Je crois que ma mère a dû se défendre et le frapper à la tête", transcrit Denis Langlois. Guillaume Seznec aurait alors endossé le meurtre et rédigé la fausse promesse de vente pour récupérer un dessous de table auparavant versé à Quéméneur. Guy Seznec donne même l'emplacement du corps. Les autorités mèneront des fouilles, en vain, ne tombant que sur des os de boeuf.

 

En décembre 2018, c'est un nouveau rebondissement qui agite cette affaire historique. Une Normande de 90 ans affirme que son père, Georges Morand, a enterré en cachette, dans le village de Saint-Lubin-de-la-Haye, un cadavre, sur la demande d'un de ses amis, Raymond Lainé. Ce dernier cherchait à dissimuler le corps de quelqu'un qu'il aurait tué à Houdan. Un corps, mais pas de nom. Si Cécilia Morand fait le rapprochement avec l'affaire Seznec, la justice estime que ce rapprochement est fait a posteriori, sans preuves évidentes.

 

96 ans après la disparition de Pierre Quéméneur, l'affaire Seznec continue donc toujours d'animer l'actualité. 



 

Seznec, soupçonné dès le début de l’enquête parce qu’il voyageait avec Quéméneur juste avant sa disparition. Seznec, condamné d’avance par une instruction qui retiendra surtout les témoins à charge. Seznec, condamné pour étouffer un scandale politique diront les uns, une histoire de trafic de Cadillac dans laquelle était impliqué le conseiller général Quéméleur. Seznec, victime d’une erreur judiciaire, c’est ce que l’on pense aujourd’hui en Bretagne.