L'architecture et le design : acteurs d'un monde sans prison

Les prisons « hébergent » plus de 10 millions d’individus dans le monde et ce nombre est en augmentation (+10% dans le monde depuis 2004 et dans certains pays comme l’Indonésie, +183%). Aujourd’hui, dans les pays en voie de développement comme dans les pays développés, de nombreuses associations de lutte pour les droits de l’homme pointent du


doigt des conditions d’incarcération inhumaines et inefficaces pour lutter contre la récidive. La prison est un lieu qui transforme oui, mais (trop) souvent dans le sens d’un retour à la marginalisation et à la criminalité. 

 

 

L’architecture d’un lieu constitue déjà un message un soi pour celui qui y entre : chacun se rappelle de certains lieux qui ont peuplé son enfance, des sensations inexplicables qui s’y attachaient. La science a formalisé cela et le confinement que nous avons vécu en a apporté la preuve : l’endroit où nous nous trouvons, sa disposition ont une influence indéniable sur la manière dont nous nous comportons et sur ce que nous ressentons.

Or, historiquement, les prisons ont été conçues comme des impasses, au sens propre comme figuré : lieux d’enfermement, elles visaient essentiellement à éloigner les criminels de la société civile. Elles n’étaient donc pas imaginées pour être des lieux de transition et visaient davantage à rappeler le passé qu’à préparer l’avenir.

 

Endroits clos, étouffants, froids, anonymes, obscurs, insalubres, purement fonctionnels, les prisons s’imposaient et s’imposent encore en majorité comme des voies sans issue. Ceci a un impact direct, d’une part, sur ceux qui les peuplent (relations dégradées, développement de la violence, santé mentale mise à mal) et, d’autre part, sur ceux qui les voient, c’est-à-dire le reste de la population (développement d’une défiance, d’un imaginaire exagéré) – autant d’éléments qui empêchent ou rendent beaucoup plus complexe une éventuelle réinsertion.

 

La conception du « lieu » prison est donc un élément déterminant du rôle que ce lieu jouera auprès de ceux qui le remplissent. Mettre au point des bâtiments dans lesquels les détenus peuvent rester en lien (de manière saine), prendre part à des activités communes et rester en lien avec des pratiques sociales imposées par la vie en communauté est un exemple de solution, de même que construire les prison à proximité des grands centres de population. 


Certains, comme l’architecte Deanna Van Buren, vont plus loin et soutiennent l’idée d’un report des investissements placés dans la construction de prisons vers d’autres types d’infrastructures qui permettraient de compléter la transition vers la réinsertion que la prison échoue à mener.

 

L’objectif ? Développer et démocratiser, par le biais de l’architecture et du design, le concept de « justice réparatrice ». Le premier postulat de ce modèle alternatif de justice est qu’un crime est commis contre un individu et non pas contre l’Etat. Il en découle que le premier impératif après un crime est de renouer une relation entre accusé et victime, par l’intermédiaire d’une médiation à laquelle toutes les parties prenantes participent activement pour trouver un moyen de réparer le dommage commis.

 

Les premiers chiffres montrent que cette technique réduit le taux de récidive violente de plus de 75% et qu’elle réduit le stress post-traumatique des rescapés des violences les plus graves. Deanna Van Buren s’est donc par exemple investie dans la conception d’espaces de réunion, qu’elle qualifie de « refuges » et où tout est fait pour que les personnes accueillies se sentent à l’aise et dans les meilleures dispositions possibles. Elle est allée plus loin en confiant le design de ces espaces à des hommes et femmes emprisonnés pour qui le seul fait de les visualiser a initié une transformation. 

Se pose cependant le problème de la réinsertion économique : aux Etats-Unis, pays dans lequel Van Buren officie, 60 à 75% de ceux qui reviennent dans leurs communautés sont au chômage un an après leur remise en liberté. D’où l’idée de lieux qui concrétiseraient le concept d’ « économie réparatrice ».

 

Le centre « Réparer Oakland » est le premier de ce genre : il inclue notamment un restaurant appelé « Les couleurs », qui forme des employés à bas salaires pour qu'ils aient un salaire décent dans des restaurants, sans regard sur leur casier judiciaire. Ces idées ont été déclinées dans des formes plus agiles : des villages roulants, appelés les Pop-up Resource Village (Villages Ressources Ephémères), qui représentent une constellation de ressources pour des communautés isolées, avec par exemple un accès à des infrastructures éducatives, sociales ou médicales mais aussi des refuges pour des détenus dont la sortie de prison n’a pas été préparée. 

 

L’architecture et le design permettent ici de donner vie à des modes de justice et de réparation dans lesquels la prison n’est plus légitime et utile. Ils favorisent et donnent place à des possibilités de réunion, de médiation, de refuge, d’éducation qui agissent en amont et en aval du crime et permettent ainsi de prévenir non seulement la récidive mais aussi la criminalité elle-même.