L'isolement en prison : lire et écrire pour en sortir

La littérature en milieu carcéral

« Là où ça souffre, ça s’ouvre ; là où ça crie, ça crée »

Guy Casadamont, directeur à l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire

 

Alors que la prison était synonyme de punition depuis des décennies, on observe dans les années 1970 une volonté de changement au sein des établissements pénitentiaires. En 1975, pour la première fois dans l’histoire de la République, est nommé un secrétaire d’Etat à la condition pénitentiaire. Hélène Dorlhac de Borne, qui exerça cette fonction pendant 2 ans, affirma en concluant son mandat : « L’interrelation entre chaque être humain et la société entraîne une responsabilité réciproque. Elle justifie le devoir de la société d’essayer de ramener le délinquant sur nos rivages difficiles pour y retrouver une chance d’exister ». Ceci fut la première pierre de l’édifice du développement culturel en milieu carcéral. La prison pourrait alors devenir un lieu où tout n’est pas souffrance, où il resterait une étincelle d’espoir, un souffle d’esprit, dans l’ombre des murs. 

 

Comment se noue cette relation de l’ombre entre littérature et prison ? Quels pouvoirs et forces peut-on attribuer à une activité artistique dans un lieu où l’âme se meurt entre les murs ? 

 

La lecture : un échappatoire

 

D’abord, comment ne pas évoquer le lien puissant entre lecture et incarcération ? Parfois considéré comme le seul échappatoire des détenus, le livre a sa place derrière les barreaux depuis l’Empire de Napoléon. Paul Verlaine, Oscar Wilde, Jean Genet, Louis Ferdinand Céline… Nombreux sont les écrivains qui ont connu la détention et qui en ont fait une source de création. Pourquoi un lien si fort ? 

 

Lutte contre l’ennui et le dépérissement de l’esprit, la lecture est une lumière qui transperce les murs délabrés pour éclairer l’âme, elle est le chant des oiseaux qui traverse les barreaux, elle est la douceur du transport loin de l’attente de la mort. Une bulle qui se révèle être salvatrice pour des personnes qui passent jours et nuits enfermés dans l’insalubrité. Les mots ont un pouvoir qui se trouve décuplé par un besoin d’échappatoire toujours plus grand, et ce pouvoir marque la conscience plus que n’importe quel autre art : les mots raisonnent dans un esprit comme des pulsions dans les veines, ils font écho à chaque geste et chaque pensée qui traversent les journées. Cette idée ne peut être mieux illustrée que par les propos d’Antoine Emaz, dans Le Silence et le Livre : « Mais l’acte de lire est un rapt mental : qu’il soit imaginaire, intellectuel ou affectif ne change rien à l’affaire. Un vrai livre est un vertige silencieux. »

 

Quel accès aux livres en prison ? 

 

Il ne faut pas oublier que la prison est soumise à de nombreuses obligations et à la censure : les détenus qui cherchent à se cultiver par des revues ou des articles se voient brimés par le contrôle des contenus politiques ou scientifiques. Il est alors judicieux pour les personnes incarcérées de chercher le rêve plutôt que la réalité du monde extérieur, l’envol de l’esprit plutôt que la chute dans le réel

 

L’accès aux livres en prison a gagné peu à peu sa place auprès des politiques prioritaires liées au monde carcéral : en 1963 un bibliothécaire (aujourd’hui un conservateur) est chargé d’assurer le service des bibliothèques à la direction de l’administration pénitentiaire. En 1983, un rapport évoque une possible politique de la lecture, mais ce rêve est illusoire, la réalité du monde carcéral freine tout espoir de politique nationale. Toutefois en 1985 la maison centrale de Poissy ouvre une bibliothèque de 60 m² à laquelle les détenus pouvaient accéder librement pendant leur promenade. 

 

En 2021, les ministères de la Justice et de la Culture atteignent un nouveau point, et cherchent à instaurer un nouveau protocole « afin de réaffirmer la place essentielle du livre et de la lecture comme leviers d’insertion sociale et professionnelle et comme outil adapté à la prévention et à la lutte contre la récidive. »

 

Pour parler en termes de chiffres, 95% des établissements pénitentiaires en 2018 possédaient une bibliothèque. D’autre part, une étude de l’agence régionale du livre montre qu’en 2021 en région PACA, plus de la moitié des établissements comptabilisent 3 ou 4 points de lecture (bibliothèques ou chariots de livres) dans leurs locaux. Pour prendre un bel exemple, la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis possède la plus grande bibliothèque de France. 

 

L’association « Lire c’est vivre » fondée en 1987 permet d’assurer l’accès à la lecture pour tous les détenus. Sur environ 4000 détenus, plus de la moitié souhaitent y accéder régulièrement. Au total l’établissement comptabilise 10 bibliothèques, qui sont en partie gérées par des auxiliaires détenus. Un bel espoir pour la démocratisation de la lecture en prison.

 

Lire et écrire comme lutte contre l'isolement 

 

A partir de là, il ne faut pas non plus négliger l’apport cognitif des livres : s’ils sont échappatoires ils sont aussi source de connaissance pour des détenus qui ont besoin de stimulation de l’esprit. Alors que certains auraient besoin de poésie pour combler le silence de la cellule ou pour couvrir les cris des cellules voisines, d’autres préféreraient se renseigner et apprendre sur un sujet qui les intéresse. De fait, la lecture peut répondre à nombre de besoins, dès lors qu’elle est appréhendée dans le cadre qui lui correspond, celui de la fécondation de la pensée.

 

Que dire de l’écriture ? La création et l’assemblage des mots sur un bout de papier n’ont-ils pas toute leur force dans un contexte si difficile ? Écrire devient en prison un moyen de revenir à soi-même, de ne pas se perdre dans une bulle de solitude, de rompre l’isolement qui sépare de la vie extérieure. Celui qui écrit extériorise ses doutes, ses passions, ses rêves, et cette trace sur le papier le ramène à la réalité, au moment présent. Les paroles d’Albert Camus dans son discours de Stockholm font un bel écho à l’écriture en monde carcéral :  « L’art oblige donc l’artiste à ne pas s’isoler ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. » Il entend par là que celui qui écrit envisage forcément la personne - même inexistante - qui pourra lire ces mots. Elle permet alors de recréer le lien social, d’imaginer autrui le lire, de réfléchir à la manière dont il veut se dire lui ou dire le monde, et ainsi renouer avec sa propre intimité et sa vision personnelle de la vie qui l’entoure. Ce qu’il écrit forme la personne qu’il est, et lui permet donc de se retrouver. Qu’il écrive fiction ou réalité, les mots sur un morceau de papier empêchent un détenu de se séparer de sa propre personnalité : l’écriture est alors une réconciliation

 

Alors si la volée des yeux sur les lignes ou la plume qui file sur le papier n’autorisent pas le corps à s’échapper des murs, elles permettent au moins à l’esprit de s’évader de l’ombre. 

 


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Sources

Maison d'arrêt de Fleury-Mérogis

Abf.Asso

Fill-livrelecture

Actualitte

Livre de Jacques Vassevière et Nadine Toursel aux éditions Armand Colin, Littérature : 150 textes théoriques et critiques

Livre de Thierry Dumanoir aux éditions de l'Atelier, De leurs cellules, le bleu du ciel – Le développement culturel en milieu pénitentiaire