les prisons du monde

Le système carcéral américain : entre business, violence et inégalités

  

En 1833, Alexis de Tocqueville chantait les louanges du système carcéral américain dans lequel, « pour la majorité des détenus [aux Etats-Unis], l’emprisonnement, le travail et les rigueurs de la discipline ont eu des résultats salutaires ». Il semblerait bien difficile d’établir pareil constat aujourd’hui, tant le taux de récidive (66%) est élevé, dans un pays où les conditions de détention sont souvent mauvaises. En matière de prisons, les Etats-Unis, loin de faire figure d’exemple, se situent au cœur d’un système complexe mêlant malaisément gouvernements et acteurs privés. A cela s’ajoutent les violences et les inégalités qui constituent un tableau inquiétant de l’univers pénitentiaire américain. 

 

 

Le business carcéral

          Les prisonniers ne manquent pas aux Etats-Unis. Les quelque 2,3 millions de détenus américains représentent près du quart de la population carcérale mondiale. En 2018, on comptait 655 détenus pour 100 000 habitants, soit six fois plus qu’en France. Et pour cause, l’univers carcéral américain représente un véritable marché économique, où le nombre de prisonniers est proportionnel aux profits.

 

          En effet, la particularité des Etats-Unis tient au recours à des prisons dont la gestion est entièrement privée. Deux grandes entreprises, la Corrections Corporation of America (CCA) et GEO group, leaders mondiaux de l’industrie carcérale, se partagent l’immense aubaine que l’incarcération de masse représente pour eux. Et le marché est en plein essor : ces vingt dernières années, le chiffres d’affaires de la CCA a augmenté de plus de 500%.

 

          Reste que les détenus des prisons privées ne représentent qu’une part mineure de la population carcérale totale, respectivement 6% des détenus des Etats et 16% des détenus fédéraux. Les prisons gérées par les gouvernements sont alors majoritaires et les autorités font appel aux entreprises privées en complément. Mais l’encadrement de ces prisons privées demeure largement insuffisant. Les Etats-Unis sont en effet la seule démocratie au monde n’ayant aucune autorité indépendante pour surveiller les conditions de détention et assurer des normes en matières de santé et de sécurité. Cela laisse la possibilité à des établissements privés d’édicter leurs propres règles.

 

          Le système est encore plus trouble lorsqu’il s’agit de la perméabilité entre le public et le privé. Les conflits d’intérêts, corollaires du business carcéral, sont monnaie courante. Transferts de chefs d’établissements privés au secrétariat aux questions pénitentiaires de l’Etat du Nouveau Mexique et recrutements de la CCA parmi les membres du Bureau of Prisons interrogent sur l’impartialité de l’inspection et de l’administration des prisons.

 

 

Conditions de détention 

 

          Cette logique mercantile, associé à l’absence d’autorité indépendante de régulation, implique nombre de dérives et de violations des droits de l’Homme. L’utilisation de l’isolement est sensiblement plus élevée que dans les pays de l’UE et ce pour une durée en moyenne bien plus importante. Ainsi les détenus sont-ils privés de lumière naturelle et de contacts sociaux des années durant, avec pour effet des maladies mentales nombreuses.

 

         Quant aux conditions de travail, elles sont assimilées par les détenus eux-mêmes à de l’esclavage. Ils sont en effet parfois forcés de travailler toute la journée, pour des revenus n’atteignant même pas 1$ de l’heure. Dans certains cas, le retour à l’esclavage est encore plus manifeste, en témoigne l’exploitation mise en place dans la prison d’Angola, en Louisiane. Les prisonniers y  travaillent dans des champs en plein soleil, et sont encadrés par des gardes à cheval. Cela n’a pourtant rien d’une exception, compte tenu du 13ème amendement de la constitution américaine, qui abolit l’esclavage, sauf pour les personnes incarcérées. Par ailleurs, la plupart des Etats interdit à ses détenus de voter, ce qui les prive de tout moyen d’agir sur leurs propres conditions de détention.

 

          Les violences jalonnent également le parcours carcéral de nombreux détenus, qui se heurtent à l’inaction d’un personnel pénitentiaire à bout de force. En effet, surpopulation, manque de personnel et conditions de détention extrêmes sont autant de facteurs qui accroissent la violence. En Alabama, où les prisons sont remplies à 160%, moins d’un poste sur trois était pourvu en 2018. Les gardiens, épuisés, ne peuvent exercer qu’une fraction de la surveillance nécessaire et sont spectateurs de conditions de détentions qui attisent les tensions. Les détenus violents sont regroupés dans des dortoirs fermés et sont privés de sortie. L’environnement est alors le lieu d’excès de violence incessants. Ainsi, les meurtres en détention, facilités par l’abondance d’armes fabriqués sur place, les overdoses et les agressions sont des motifs récurrents de la vie en détention.

 

 

Inégalités raciales

 

           Le système carcéral américain ne saurait s’isoler du contexte qui l’entoure : les inégalités raciales, considérables dans la société américaine, se confirment entre les murs des centres pénitentiaires. Si les afro-américains ne représentent que 13% de la population américaine, ils comptent pour 44% des détenus. Bien que toutes les classes d’âge soient touchées, cette observation est encore plus criante chez les jeunes : parmi les 20-34 ans, un jeune Noir sur neuf est derrière les barreaux. Pour les Blancs, un adulte blanc sur 106 est emprisonné. Ce phénomène trouve ses causes dans des inégalités sociales intrinsèques mais aussi dans des mécanismes racistes qui incriminent plus injustement les Noirs. Ainsi, un Afro-Américain innocent a 7 fois plus de risques qu’un Blanc d’être condamné à tort pour meurtre et 12 fois plus de risques lorsqu’il s’agit d’une affaire de stupéfiants.

 

 

 

Au total, le système carcéral américain n’est que le reflet de la culture dont il est issu. Il peine à s’affranchir des maux d’une société affectée par des années d’esclavage et de ségrégation raciale. Pire, cette logique de profit et cette violence que l’on retrouve dans certains aspects de la société américaine s’affirment plus vigoureusement encore entre les murs des prisons.

 

 

 

 

source photo : Pixabay