S'évader avec Laurent Jacqua le temps d'une conférence

L'Ombre et la Plume a reçu Laurent Jacqua à l'EDHEC pour une conférence extraordinaire : durant une heure très intense il a pu partager son parcours et son avis sur l'état du système carcéral français avec les étudiants. Un témoignage à la fois drôle et enrichissant !

Nous sommes lundi 12 février, il est 12h et les étudiants remplissent peu à peu l'amphi VIP. Une fois tous installés, notre curiosité ayant laissé place au silence, la conférence peut commencer.

Laurent Jacqua, ancien détenu au parcours carcéral agité et semé de multiples évasions, commence par introduire l'état actuel du système carcéral. C'est un sujet toujours d'actualité puisque les mesures prises par le gouvernement se multiplient. C'est d'ailleurs l'occasion pour lui de nous donner son premier avis : "créer une unité spécialement pour les terroristes, c'est stupide. Enfermez deux fans de pêche ensemble, et devinez : de quoi parleront-ils ? De pêche. Ici c'est la même chose, le phénomène ne fera que s'amplifier, c'est d'ailleurs comme ça que s'est progressivement créé Daesh".

Les premières années à Fleury Merogis

Il nous explique ensuite en quoi le premier pas que vous faites dans une prison vous change à jamais. En 1985, alors âgé de 18 ans, il intègre la plus grande prison d'Europe : la maison d'arrêt de Fleury Merogis. Et c'est là que tout s'accélère : à peine entré des ces grands bâtiments, on lui ôte tous ses vêtements sous les yeux de 3 gardes et on lui attribue un numéro d'écrou dont il se souviendra toute sa vie : "138496Q". Le phénomène de déshumanisation et d'humiliation commence alors sa métamorphose.

Celle-ci se poursuit lorsqu'il découvre la celle "individuelle" qu'il doit partager avec un autre détenu, dans laquelle il dormira par terre durant 6 mois. Mais dès sa première journée il n'est pas au bout de ses surprises : les sorties en balade consistent à sa faire tabasser et à lui faire comprendre que pour survivre ici, il faudra être le plus violent. C'est d'ailleurs cette spirale de violence qui justifie selon lui les 60% de récidive en France : c'est un engrenage.

Ce cercle vicieux le pousse à penser que "si on le traite comme un chien, alors il sera le chien le plus féroce". Il n'a alors plus qu'un seul objectif en tête : s'évader. Il s'attarde ainsi à nous raconter une de ses multiples évasions : il réussit à faire rentrer des armes dans sa cellule, trafique son ampoule pour feindre une panne d'électricité et une fois les "matons" entrés dans sa cellule, son co-détenu et lui-même leur sautent à la gorge et c'est ainsi que s'enchaînent prises d'otages et cavales.


La lecture pour s'évader

Le problème est qu’à chaque évasion, il ne récupère pas sa liberté, mais s’en éloigne un peu plus. Ses cavales se font de plus en plus violentes, rythmées par des braquages incessants pour survivre, et des retours en prison. Ce sont finalement ces 5 ans passés en isolement, dans le noir, avec un rat pour seul et unique contact, qui le font réagir. C’est grâce à l’intervention d’un professeur de philosophie de l’université Paris VII qu’il découvre que sa véritable évasion débutera bel et bien entre ces 4 murs : grâce à l’écriture.

Les choses s’accélèrent : il découvre Tolstoï, Céline,… et décide que c’est à son tour de s’exprimer. Il réussit alors à tenir illégalement le premier blog d’un prisonnier et sa révolte va vite se diffuser : "Je ne dors plus, je ne mange plus, je meurs, j’agonise et je n’ai plus de force, de résistance. […] Personne ne s’inquiète, je meurs en cellule seul comme un chien". En effet, il raconte son histoire, celle d’un homme qui découvre la violence inévitable en prison et qu’on laisse mourir à petit feu.

C’est ainsi qu’après une vingtaine d’années de détention commence sa plus belle évasion : en 2002, il publie son premier livre La guillotine carcérale, silence on meurt [Extrait], il obtient un DAEU littéraire, donne naissance à un « bébé parloir », co-écrit un titre aux côtés de Grand Corps Malade ; tout un parcours qui lui vaudra une libération conditionnelle (et définitive) en 2010.

A ce stade de la conférence, on comprend bien que survivre en prison n’est pas chose facile. Quelle est donc notre surprise lorsque on l’entend dire qu’ il est "contre toute forme d’amélioration du confort en prison". En effet, sa conclusion est la suivante : lorsque suite aux émeutes de 1980 le gouvernement a introduit la télévision dans les cellules, ils pensaient améliorer le confort, mais ils n’ont fait qu’endormir le réel problème qui est le manque de suivi, de soutien et surtout de culture en prison car selon lui : "l'ignorance est "le pire crime contre l'humanité"". Il souhaite que l’Etat arrête d’enfermer les "petits délinquants", mineurs tombés dans le traffic, et qu’il installe des mesures solides de réinsertion pour ces jeunes qui ont toutes leurs chances de retourner dans le droit chemin.

C’est avec une certaine émotion que Laurent Jacqua termine son récit et laisse place aux multiples questions qu’il a éveillées chez de nombreux étudiants. Après une heure de conférence, les paroles du titre Le bout du tunnel prennent alors tout leur sens :

 

"Avant je m’évadais au pistolet,

Maintenant je m’évade à l’épistolaire"

 

Vous pouvez retrouver des extraits du live de la conférence sur notre Facebook ou bien en apprendre plus sur Laurent Jacqua dans cette vidéo.

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