TRAVAILLER EN PRISON EST CONSIDÉRÉ COMME UN DROIT
Historiquement, le travail en prison s’inscrit dans une démarche punitive. Mais depuis 1987, il n’est plus obligatoire en détention et s’effectue sur la base du volontariat. En effet, selon l’article 713-3 du Code de procédure pénale, “Au sein des établissements pénitentiaires, toutes dispositions sont prises pour assurer une activité professionnelle, une formation professionnelle ou générale aux personnes incarcérées qui en font la demande.”
Les dispositions nécessaires doivent être prises afin que soit fourni aux personnes incarcérées un travail productif et suffisant pour occuper la durée normale d’une journée de travail.
POUR QUI TRAVAILLER ?
Si travail il y a, celui-ci doit se faire dans les locaux de la prison. Le détenu peut travailler sous différents régimes.
Tout d’abord, le détenu peut travailler pour le compte d’une entreprise privée pour qui il y a certains avantages sociaux et économiques. On parle alors du régime de la concession. Cela signifie que l’administration pénitentiaire a conclu un contrat avec une entreprise qui installe son atelier dans les locaux de la prison. Mais, le détenu peut aussi travailler pour la régie industrielle des établissements pénitentiaires (RIEP). Dans ce cas, le travail est fait sous le contrôle de l’administration pénitentiaire dans des ateliers gérés par le service de l’emploi pénitentiaire. La personne détenue travaillant produit des biens ou des services vendus à l’extérieur. Voici des exemples de travaux commandés et gérés par l’administration pénitentiaire : métallurgie, textiles, imprimerie, menuiserie.
Aussi, la personne peut travailler pour le service général de la prison. Elle est alors chargée de l’entretien des locaux ou des tâches nécessaires au fonctionnement de l’établissement; maintenance, restauration ou entretien des lieux de vie collective par exemple.
Enfin, le détenu peut travailler pour son propre compte s’il a l’autorisation du chef d’établissement ou pour une association d’aide à la réinsertion sociale et professionnelle des prisonniers (comme CodePhenix).
EXISTE-T-IL UN CONTRAT DE TRAVAIL ?
Les règles du code de travail et le Smic habituel ne s'appliquent pas dans cette situation. En effet, le travail en milieu pénitentiaire est régi par le code de procédure pénale. Le détenu signe donc non pas un contrat de travail mais un acte d’engagement.
Cet acte, signé par le chef d’établissement et le travailleur détenu, énonce les droits et obligations des parties, les conditions de travail et de rémunération. Ce document doit donc inclure une fiche de poste, les horaires et les missions réalisées. En pratique, cet acte d’engagement est souvent rédigé de manière floue ce qui ne permet pas une bonne protection juridique aux personnes détenues.
Sans contrat de travail, les détenus travailleurs ne peuvent ainsi pas prétendre à des congés payés, à l’assurance-chômage ou aux versements d’indemnités en cas de chômage technique, d’arrêt maladie ou d’accident du travail. Ils sont ainsi privés de beaucoup de droits.
Les règles habituelles d’hygiène et de sécurité au travail doivent être respectées en détention. De plus, l’organisation, les méthodes et la rémunération du travail doivent se rapprocher du mieux possible des activités professionnelles extérieures. Seules les spécificités propres à la détention peuvent justifier le non-respect des normes du code du travail.
En revanche, tout cela est différent quand une personne est détenue en semi-liberté ou placée à l’extérieur. Elle peut travailler en dehors de la prison. C’est donc le code du travail qui s’applique comme pour tout autre salarié.
QU’EN EST-IL DES RÉMUNÉRATIONS ?
La rémunération des détenus ne peut pas être, légalement, inférieure à un certain taux horaire. Et elle ne doit pas être inférieure à 1,67€ par heure contre 10,48€ au SMIC. En principe, les personnes détenues qui travaillent en production pour des entreprises privées doivent percevoir une rémunération horaire brute équivalente à 45% du SMIC (4,56€ en 2020). Au service général, le taux varie selon la classification du poste définie selon le degré de technicité des tâches. En classe III, le taux est à 20% du SMIC (plongeur par exemple), en classe II à 25% et en classe I à 33% (cuisinier par exemple). La rémunération perçue par le détenu travailleur est annoncée avant le début de son travail et est soumise à des cotisations sociales.
En réalité, les entreprises et l’administration pénitentiaire se libèrent des taux horaires prévus par la loi. Le tarif à la pièce prime encore dans les ateliers. En général, il est dit que le prix de la pièce est déterminé à partir du taux horaire et qu’en respectant la cadence de production, les détenus peuvent percevoir la rémunération équivalente au taux horaire. Mais la cadence est souvent hors de portée. Donc, finalement, les rémunérations sont plus faibles que ce qui devrait être garanti. L’administration pénitentiaire a été condamnée plusieurs fois pour ce système de rémunération illégal.
La rémunération nette est versée sur le compte de la personne détenue. Elle peut en disposer immédiatement mais une part est retenue pour constituer ce qu’on appelle un pécule de libération. Cela correspond donc à une partie de la rémunération du travail effectué par la personne détenue qui lui est remise à sa libération. Une part de la rémunération peut aussi être retenue pour indemniser les victimes.
COMMENT ACCÉDER À UN TRAVAIL ?
Les demandes de travail sont examinées par la commission pluridisciplinaire unique (CPU), présidée par le chef d’établissement. Le détenu peut préciser pour quel type de travail il serait intéressé, mais la CPU n’est pas tenue de le prendre en compte. En principe, la CPU doit veiller à garantir l’égalité de traitement en matière d’accès au travail des personnes handicapées détenues.
Le poste de travail choisi doit également tenir compte des capacités intellectuelles et physiques de la personne incarcérée, des perspectives de réinsertion, de sa situation familiale et des sommes potentielles qu’elle doit verser aux parties civiles.
D’autres critères sont aussi pris en compte. Ceux-ci concernent plutôt la gestion de la détention avec comme objectifs le maintien de l’ordre, la prévention des évasions et la préservation des intérêts des concessionnaires pour les fidéliser.
Une fois la demande faite, les détenus souhaitant travailler n’ont plus qu’à attendre, parfois longtemps. “Cela fait dix mois que j’attends pour travailler” témoigne une personne incarcérée en avril 2017. Et le premier inscrit n’est pas toujours le premier servi.
Cependant, un refus d’accès au travail ne peut pas faire l’objet de contestation de la part du détenu souhaitant travailler. En effet, selon un arrêt de principe du 14 décembre 2007, le Conseil d’État a considéré que les « refus opposés à une demande d’emploi » ne constituaient pas un « acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir » (Conseil d’État, 14 décembre 2007, arrêt Planchenault).
De même, les personnes incarcérées ne peuvent pas contester les décisions de “classement” si elles ne sont pas satisfaites du poste auquel elles ont été attribuées.
QUELLE EST LA DURÉE DU TEMPS DE TRAVAIL ?
Le temps de travail par jour et par semaine ne peut pas dépasser les horaires pratiqués dans le même secteur en dehors de la prison. Selon un décret du 30 avril 2013 relatif aux règlements intérieurs types des établissements pénitentiaires, « le respect du repos hebdomadaire et des jours fériés doit être assuré [aux travailleurs détenus,] sous réserve des nécessités liées à la continuité du service [et] les horaires doivent prévoir le temps nécessaire pour le repos, les repas, la promenade et les activités éducatives et de loisirs ».
Mais, en pratique, le droit au repos hebdomadaire et aux jours fériés n’est pas toujours respecté au service général, notamment aux cuisines ou au service de maintenance. Au sein des ateliers, la régularité du travail n’est pas non plus garantie. Cela dépend des besoins du concessionnaire.
LA SITUATION ACTUELLE EN FRANCE ET LE DÉCLIN DU TRAVAIL PÉNITENTIAIRE.
Malgré les bénéfices en termes de réinsertion pour un détenu, le travail en prison connaît un déclin depuis plusieurs années. En effet, la part de détenus exerçant une activité rémunérée est passée d’environ 46,5% en 2000 à 31% en 2021, soit 20 000 détenus travaillant chaque mois dont 9 000 en atelier. 400 entreprises sont déjà implantées dans des centres de détention. L’offre de travail s’est raréfiée, notamment en raison de la surpopulation carcérale.
Ce déclin a été accompagné d’une dégradation de la qualité des tâches réalisées en prison. Effectivement, ces tâches sont désormais des activités de façonnage ou d’assemblage, tâches qui ont quasiment disparues à l’extérieur. C’est difficile alors de les considérer comme préparant à une vie professionnelle à la sortie.
Ce déclin peut être expliqué par des facteurs extérieurs comme les mouvements de délocalisation amorcés dans les années 1990 ou la crise économique de 2008. Mais il montre aussi que le développement du travail en prison n’est pas une priorité de l’administration pénitentiaire ni de l’opinion publique.
Pour le sociologue Fabrice Guilbaud, “si les détenus souhaitent tant travailler, quand bien même il s’agit de “sales boulots”, dans des conditions de “surexploitation” (dont ils sont conscients), c’est qu’ils vivent un drame social, une expérience sociale extrême, à savoir l’enfermement”.
En effet, alors que le travail en prison est censé avoir une fonction émancipatrice pour les personnes incarcérées, le travail proposé est souvent très éloigné du marché de l’emploi, sous-payé, peu qualifiant et peu valorisant. Toutefois, il est quand même prisé car il est l’une des seules sources de revenus pour améliorer le quotidien des personnes détenues et pour subvenir aux besoins des proches à l’extérieur. C’est aussi l’opportunité de sortir de sa cellule, de s’occuper et d’espérer obtenir une réduction de peine pour bonne conduite.
UNE AIDE A LA RÉINSERTION QUI DOIT ENCORE ÊTRE DEVELOPPÉE.
Selon le rapport de l’Institut Montaigne publié en 2018, un détenu formé ou ayant travaillé en prison diminue de près de moitié ses risques de récidiver et renforce ses perspectives de réinsertion. Les formations professionnelles, quant à elles, font diminuer en moyenne de 43% la probabilité de retourner en prison.
L’activité professionnelle est donc très importante pour la réinsertion future des personnes détenues. En effet, pour nombre d’entre elles, le travail en prison représente une première expérience professionnelle. Les entreprises sont d’ailleurs encouragées à délivrer une attestation de compétences à l’issue du travail.
Toutefois, on observe un certain désintérêt pour le travail pénitentiaire qui est pourtant un levier de réinsertion.
C’est pourquoi une transformation de l’approche de tous les acteurs du travail pénitentiaire serait nécessaire. Cela permettrait de préparer au mieux la sortie des détenus.
L’Institut Montaigne a proposé alors neuf solutions pour que le travail pénitentiaire soit un réel vecteur de réinsertion :
Renforcer la formation et l’orientation professionnelle des personnes détenues grâce à des dispositifs adaptés aux durées des peines.
Faire évoluer le travail et la formation professionnelle vers une meilleure préparation à la sortie.
Investir massivement dans le numérique en détention.
Rénover la gouvernance du travail pénitentiaire
Professionnaliser les agents de l’administration pénitentiaire sur l’insertion professionnelle et créer une filière dédiée.
Définir des indicateurs spécifiquement dédiés au travail pénitentiaire et à la formation professionnelle dans les lettres de mission des directeurs.
Remplacer l’actuel « acte d’engagement » par un contrat sui generis permettant de concilier le renforcement et la continuité des droits sociaux des détenus et la sécurisation des donneurs d’ordres.
Créer les conditions de l’application de la réglementation sur la rémunération horaire.
Valoriser l’engagement social des entreprises qui s’investissent dans le travail en détention.
LA RÉFORME DU TRAVAIL EN DÉTENTION.
Le garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti, veut donner aux personnes incarcérées les moyens d’assurer leur réinsertion. Cela tient d’abord par une réforme du travail pénitentiaire. Celle-ci vise à rapprocher le statut des travailleurs détenus à celui du droit commun par de nouvelles mesures. Ainsi, la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire modifie les règles applicables au travail des personnes détenues. Un décret d’application sera pris pour la mise en application des nouvelles règles à partir du 1er mai 2022.
Cette réforme leur garantirait un salaire minimum, une meilleure régulation de la relation de travail et l’ouverture de droits sociaux dont l’extension des droits à l’assurance-vieillesse, l’ouverture de droits à l’assurance-chômage ainsi que l’indemnisation en cas d’accidents, de maladies professionnelles et de congés maternité.
Mais cette réforme de professionnalisation ne servirait pas qu’aux détenus. Elle pourrait pallier la pénurie de main-d'œuvre sur le marché du travail, notamment concernant les postes de techniciens qui ne nécessitent pas ou peu de diplômes. Et les entreprises pourraient communiquer sur leurs valeurs en promouvant l’idée de la deuxième chance.
Le 2 décembre 2021, Eric Dupont-Moretti et Elisabeth Borne, ministre du travail, se sont d’ailleurs rendus au centre de détention de Muret pour visiter les ateliers de travail pénitentiaire. Ils ont ainsi rencontré et échangé avec des travailleurs détenus et des représentants de grandes entreprises françaises. Cette visite a permis de mettre en avant l’expérience d’entreprises déjà implantées en détention et de valoriser le travail pénitentiaire auprès des entreprises locales et nationales qui pourraient s’appuyer sur ce dispositif.
En parallèle de cette réforme, l’Etat travaille pour accroître l’offre de travail et diversifier les activités, principalement dans le secteur du numérique et celui de l’économie sociale et solidaire. Les détenus pourraient ainsi acquérir des compétences valorisables sur le marché du travail dans des secteurs porteurs à leur sortie.
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