L’article qui suit est un résumé du rapport produit en 2017 par le Contrôleur Général des lieux de privation de liberté (CGLPL) intitulé « Les droits fondamentaux à l’épreuve de la surpopulation carcérale ». Le CGLPL est une autorité administrative indépendante créée par la loi du 20 octobre 2007 à la suite de l’adoption par la France du protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il a pour mission de veiller à la protection de l’ensemble des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, qu’elles soient en prison, en garde à vue, dans un établissement de santé mentale, en centre de rétention pour étrangers, dans les geôles d’un tribunal, en centre éducatif fermé pour mineurs ou dans tout autre lieu dans lequel des personnes sont enfermées par la décision d’un juge ou d’une autorité administrative. Il s’assure donc que les droits à la vie, à l’intégrité physique et psychique ou à ne pas être soumis à un traitement inhumain ou dégradant sont respectés.
Le sujet de cet article a été choisi au regard de la décision de la Cour Européenne des droits de l’Homme, qui était de condamner la France en janvier 2020 du fait de conditions de détention constitutives d’un traitement inhumain et dégradant, et pour absence de recours préventif effectif. La Cour retient en particulier le fait que la surpopulation carcérale constitue un problème structurel en France et recommande que des mesures générales soient prises pour y mettre un terme.
La surpopulation carcérale représente une situation où le nombre de personnes détenues est supérieur au nombre de places disponibles dans les établissements pénitentiaires. Le paragraphe qui suit a pour but de présenter quelques données statistiques et exemples concrets qui permettent de se rendre compte de l’ampleur de la surpopulation carcérale en France.
En mars 2017, la maison d’arrêt de Villepinte prend une décision sans précédent : elle décide d’arrêter d’accueillir de nouveaux détenus, le taux d’occupation de l’établissement ayant déjà atteint 201% chez les détenus majeurs. Cela signifie qu’il y a deux fois plus de détenus dans l’établissement que de places théoriques. La tendance est généralisée en France : le seuil des 70 000 personnes incarcérées a été atteint pour la première fois le 1er avril 2017. En 2002, on comptait 48 594 personnes incarcérées, ce qui constitue une augmentation de 44% en 15 ans. Au 1er janvier 2020, on compte 70 651 personnes incarcérées pour 61 080 places opérationnelles dans les établissements pénitentiaires, donnant un taux d’occupation moyen de 116%, mais la répartition est inégale non seulement entre les établissements, mais aussi de façon territoriale. En effet, plus de 52 % de la population carcérale était détenue dans un établissement ou un quartier d’établissement ayant une densité carcérale supérieure à 120 % et 56 établissements avaient un taux d’occupation de plus de 140 %. Huit établissements avaient des taux approchant, voire dépassant, les 200 %, notamment dans les départements et territoires d’outre-mer, qui sont les plus touchés avec les établissement de la région parisienne et du Sud de la France. Ainsi, la maison d’arrêt de Baie-Mahault (Guadeloupe) connaissait un taux d’occupation de 191 %, celui de Ducos (Martinique) de 226 % et celui de Faa’a Nuutania (Tahiti) de 466 %. Selon le recensement de l’administration pénitentiaire, 1 042 détenus dormaient sur un matelas posé au sol dans les prisons françaises. Les établissements les plus touchés par la surpopulation carcérale sont les maisons d’arrêt : elles constituent 57% du total des places, mais accueillent 68% des personnes incarcérées.
D’abord, le fait que les maisons d’arrêt soient plus touchées que les autres établissements est dû à deux raisons principales : aucun numerus clausus n’est imposé aux maisons d’arrêt, contrairement aux établissements pour peine, maisons centrales et centres de détention ; et le nombre de personnes placées en détention provisoire explose, celles-ci allant directement en maison d’arrêt.
Ensuite, la surpopulation carcérale de façon générale est due à deux choses : un alourdissement systémique des peines, et une extension régulière du champ d’action de la procédure de comparution immédiate, couplée à une volonté de mettre à exécution les peines d’emprisonnement au moment de leur prononcé.
Rappelons que la loi pénitentiaire de 2009 stipule dans son article 22 : « L’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes ». Force est de constater que les autorités françaises ne sont pas en situation de respecter cette loi à cause de la surpopulation carcérale, car celle-ci aggrave manifestement les conditions matérielles de détention, les tensions et violences, la qualité des soins, le maintien des liens extérieurs et l’accès aux dispositifs de réinsertion qui en découlent. En effet, la surpopulation à l’intérieur des établissements pénitentiaires favorise la
dégradation des conditions matérielles de détention, non seulement à l’intérieur de la cellule, mais aussi dans les locaux collectifs. Les règles européennes stipulent que tous les détenus doivent disposer d’une cellule individuelle, sauf exception. On constate pourtant que seulement 19% des détenus dans les maisons d’arrêt bénéficient d’une cellule individuelle. L’encellulement individuel reste donc malgré tout l’exception. La règle est plutôt le partage d’une cellule de huit ou neuf mètres carré entre deux ou trois personnes, ce qui aboutit trop souvent à l’installation d’un matelas directement au sol pour certains détenus. Comme évoqué plus haut, ce sont 1 042 détenus qui dorment sur un matelas au sol dans nos prisons françaises, ce qui constitue une atteinte à la dignité majeure. Pour ne citer que quelques exemples, la maison d’arrêt de Nîmes offre 192 places mais accueille 397 personnes, dont 37 d’entre elles dorment sur un matelas à même le sol ; la maison d’arrêt de Nanterre offre, elle, 592 places mais accueille 1 035 détenus, et 18 d’entre eux dorment sur des matelas au sol ; situation encore plus dramatique en Guadeloupe dans la maison d’arrêt de Baie-Mahault, qui offre 186 places mais accueille 418 personnes, et 130 d’entre elles dorment sur des matelas au sol. La surpopulation carcérale a également une conséquence directe sur l’intimité et l’hygiène des personnes détenues : la saturation des cellules conduit à une perte totale et permanente de l’intimité, les conditions d’hygiène et de maintenance se dégradent, et l’accès aux sorties à l’air libre devient plus difficiles, ce qui accroît le temps effectif d’enfermement en cellule, qui affecte la santé physique et psychique des détenus.
A cela s’ajoute la dégradation de la qualité de l’accueil des nouveaux arrivants : le personnel des prisons, déjà trop occupé par les détenus trop nombreux, ne peut pas s’occuper des détenus qui arrivent, en particulier de ceux pour qui c’est la première incarcération, qui ont besoin d’une attention toute particulière, ne serait-ce que pour les rassurer concernant des simples questions logistiques. Autre conséquence de la surpopulation carcérale : une altération des liens avec l’extérieur. Si la loi française garantit aux détenus le maintien de la vie privée et familiale et des relations avec l’extérieur (gage d’une rupture moins forte et d’une réadaptation plus rapide à la vie à l’extérieur), la surpopulation carcérale provoque l’encombrement des parloirs, renforçant ainsi l’isolement et affectant l’exercice des droits de la défense, l’accès à l’avocat étant réduit. Enfin, la surpopulation carcérale détériore l’accès aux dispositifs de réinsertion divers. Par exemple, les détenus mineurs ne peuvent pas bénéficier d’un enseignement satisfaisant du fait du manque d’enseignants, de l’allongement des listes d’attente pour pouvoir suivre des cours ; tous les élèves ne peuvent pas disposer des 12 heures de cours par semaine réglementaires, et certains finissent déscolarisés malgré eux. Il en est de même pour les détenus qui souhaitent travailler : le nombre de postes disponibles n’augmente pas en même temps que le nombre de détenus, donc les listes d’attente s’allongent et le taux de pauvreté augmente. Le travail en prison est pourtant un facteur essentiel de réinsertion. L’accès aux équipements sportifs se voit aussi réduit : des listes d’attente se créent pour pouvoir bénéficier d’activités sportives, parfois tellement convoitées qu’elles ne sont autorisées que quelques heures par semaine (2h30 par semaine et par détenu à la maison d’arrêt de Bourg-en-Bresse, 1h30 par semaine et par détenu à la maison d’arrêt de Nice), les moniteurs sportifs ne sont pas assez nombreux et ne peuvent pas exercer en permanence, le matériel sportif se voit usé de façon prématurée. Il en est de même pour les activités socio-culturelles et l’accès aux cultes (les locaux pour les cultes sont trop petits et même parfois détournés de leur fonction, servant souvent de cellules) ; les interventions de partenaires favorables à la réinsertion comme les missions locales, Pôle Emploi ou les associations d’aide à la réinsertion sont moins nombreuses ou rationnées pour essayer de voir le plus de monde possible, la qualité des entretiens est réduite, les listes d’attente encore une fois s’allongent.
Jusqu’ici, différentes actions ont bien été entreprises pour tenter de réduire le nombre de personnes détenues en France, comme la construction de nouveaux établissements, ou la tentative de mise en place de la surveillance électronique comme nouveau type de condamnation, mais rien n’y fait, le nombre de détenus ne fait que croître. La CGLPL préconise donc la mise en place d’une politique publique de désinflation carcérale qui repose sur dix recommandations. Celles-ci incluent : renforcer le droit à l’encellulement individuel et la réduction immédiate du recours aux matelas supplémentaires, revoir le calcul de la capacité des établissements et améliorer les données disponibles, obtenir des statistiques relatives à composition de la population pénale de chaque établissement plus précises, faire de la surpopulation non plus une problématique pénitentiaire mais l’objet d’une véritable politique publique, rendre les magistrats plus attentifs aux conditions de détention, réduire considérablement le recours à la peine d’emprisonnement, interroger le sens des peines d’emprisonnement courtes (un séjour en prison court permet-il au détenu de bénéficier d’une aide quelconque ?), repenser le fonctionnement des juridictions pénales pour engager la déflation carcérale, et mettre en place un processus de régulation carcérale afin d’empêcher tout établissement de dépasser un taux d’occupation de 100%.
En conclusion, la surpopulation carcérale affecte inévitablement l’ensemble des droits fondamentaux des personnes détenues. La peine de prison, censée constituer un dernier recours, demeure la sanction pénale de référence, favorisant la surpopulation et privant la peine de toute chance de réaliser ses fonctions d’amendement et de réinsertion. En d’autres termes, la
surpopulation engendre la surpopulation en diminuant les chances d’accès au travail comme à l’ensemble des activités et, partant, les chances de réduction des durées moyennes d’un enfermement. C’est alors un cercle vicieux qui s’instaure : des hommes et des femmes sont entassés dans des espaces restreints, trop nombreux pour qu’à effectifs et moyens constants, le personnel des prisons, saturé, puisse encore remplir sa mission. Dès lors, non seulement les droits fondamentaux des personnes détenues sont bafoués, mais la peine, privée de sens, produit les effets inverses de ceux que la loi lui assigne et produit les conditions de la récidive. Il est fondamental qu’une politique globale, cohérente et pérenne soit rapidement mise en place par les autorités afin d'inverses ce processus.