Se réinsérer en marchant

« Seules les pensées que l’on a en marchant valent quelque chose»

Nietzsche

 

L’importance de la lutte contre la récidive des mineurs conduit à la création de dispositifs, qui ne font pas toujours l’unanimité et qui ont principalement pour objectif de sortir les jeunes de la délinquance en les éloignant de leur environnement. La marche est une mesure qui permet de créer une rupture avec l’environnement du mineur pour favoriser sa réinsertion. 

 

L’association « Seuil », créée en 2000, a pour ambition d’offrir une alternative crédible de prise en charge éducative à des jeunes, souvent qualifiés « d’incasables ». Aujourd’hui, en 2023, elle est d’autant plus sollicitée et en particulier pour les jeunes incarcérés ou placés dans les centres éducatifs fermés. L’organisme propose de marcher pour renoncer à la délinquance ainsi que pour se reconstruire physiquement et mentalement.

 

Quels sont les principes théoriques derrière cette marche ?

Dans une société toujours plus connectée, rapide et immédiate, l’association Seuil a fait, à l’inverse, le pari de la lenteur et le long terme. Ainsi, la marche est un médium pédagogique d’exception avec de nombreux atouts : 

  • Elle offre une activité physique où on prend son temps et favorise alors un équilibre psychique. Elle aide le jeune à trouver ce qui le met en joie, à mettre des mots sur ses colères et à apprivoiser ses émotions. En ce sens, l’itinérance procure un apaisement si le jeune s’installe durablement dans le projet. 
  • Cette aventure en duo est organisée de manière que le jeune accompagné d’un adulte trouve un nouvel équilibre tout au long de son chemin. Il faut accepter de partir avec une personne inconnue avec qui il faudra cohabiter et construire une relation faite de solidarité, de partage, de respect et bienveillance mutuels. Étape après étape, l’évolution de cette relation est palpable, c’est un mixte d’autorité, d’amitié, de fraternité, de complicité, de disputes, de rires… Parfois, ce lien se transforme en un lien fort et persiste après. 
  • La marche est un voyage initiatique, pour ainsi dire un adieu à l’adolescence. 
  • La marche permet de rencontrer de nombreuses personnes et d’apprendre à communiquer.
  • L’itinérance permet aux jeunes de s’éloigner de leurs problèmes, de réfléchir à leur comportement, à leur avenir, de partager cette activité avec quelqu’un sur qui ils peuvent compter. Elle permet de leur redonner confiance et d’être fiers d’eux.

Ainsi, la marche a quelque chose de magique parce qu’on ne voit pas, on ne comprend pas tout et cette part de mystère en fait la beauté. C’est un pari avec une part d’incertitude.

 

Et dans la pratique, comment cela se passe ?

Chaque année, 35 jeunes, de 14 à 18 ans, condamnés par la justice, participent volontairement à de longues marches de 3 mois sur les routes d’Europe au lieu d’exécuter leur peine. L’équipe est composée d’éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse et de bénévoles qui organisent les marches et recrutent des accompagnateurs. Pendant les 3 mois de la randonnée, les jeunes sont coupés de leur entourage, placés dans un environnement qui leur est inconnu. Ce temps leur permet de réfléchir, et de trouver un projet de réinsertion

 

Pour que l’activité soit concluante, l’adolescent doit respecter des règles strictes. Chaque jour 15 kilomètres doivent être effectués, puis, au bout de quelques semaines, 25 kilomètres. Pendant 2 heures par jour, ils doivent marcher seul en silence pour se recentrer sur eux-mêmes. Les jeunes ne peuvent pas utiliser leur téléphone portable, ils peuvent seulement demander celui de l’accompagnateur 1 fois par semaine pour s’en servir pendant 20 minutes. S’ils avaient la possibilité d’utiliser leur téléphone, il n’y aurait plus aucun intérêt de faire cette marche puisque l’objectif est de les éloigner de leur environnement.

 

L’association fournit aux jeunes, un carnet de voyage qui leur permet de noter leurs impressions, leurs émotions, leurs progrès ou les difficultés qu’ils rencontrent.

 

Est-ce que cela fonctionne ?

Généralement, les adolescents passent par 3 phases : 

  • La première est la plus compliquée puisqu’ils doivent s’habituer à marcher sur une longue distance ; 
  • Lors de la deuxième, une fois habituée à la marche, ils profitent de l’expérience ;
  • Enfin, la troisième est surtout consacrée à un temps de réflexion centré sur leur avenir. 

Dans un objectif de prévention de la récidive, cette expérience semble avoir de bons résultats. 60% des jeunes qui décident de faire cette marche reviennent avec un sérieux projet de réinsertion et 84% des éducateurs considèrent que c’est une réussite pour les adolescents. En effet, 76% de ces jeunes ont une évolution positive.

 

« Il n’y a pas de racines à nos pieds, ceux-ci sont faits pour se mouvoir. » D. Le Breton


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Sources